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Intelligence artificielle et éducation en Inde : décryptage

Le système éducatif indien, déjà très en vogue sur les questions d’éducation augmentée, poursuit son évolution technologique en 2021. Après une année 2020 très fructueuse, la part de l’intelligence artificielle dans le secteur devrait croitre d’encore 47% en 2021. Pour ouvrir l’année, petit tour d’horizon de cette généralisation de l’intelligence artificielle dans l’éducation en Inde.

Vers l’école de demain en Inde ?

Dans un article du 4 janvier, le journal indien The Financial Express éclairait les aspects principaux qui devraient particulièrement être mis en lumière cette année. Tout comme en France, l’apprentissage hybride, entre présentiel et distanciel, est voué à se maintenir dans une grande partie du système éducatif indien. L’évaluation devrait elle aussi être revisitée, grâce aux nouvelles technologies fondées sur les données et l’analyse de contenu. La nouvelle politique de l’éducation indienne (NEP) a d’ailleurs mis l’accent sur les réformes de l’évaluation, et a introduit le Centre national d’évaluation (PARAKH) pour suivre régulièrement les résultats de l’apprentissage.

Nouvelle particularité, le contenu sera également davantage localisé pour l’apprentissage. Celui-ci diffèrera, partiellement, selon les régions. La NEP a souligné l’importance de l’introduction de la langue maternelle comme principal mode d’enseignement dans les classes inférieures. Elle se base en effet sur la recherche pédagogique, qui reconnait que les enfants apprennent mieux lorsqu’ils apprennent dans leur langue maternelle. Les besoins spécifiques des élèves – notamment dus à des facteurs socio-économiques – seront également mieux adressés par cette nouvelle emphase portée sur le local.

La place des jeux dans l’apprentissage est elle aussi vouée à se généraliser. Excellent moyen de motiver les élèves, ils permettent une favorisation de la rétention de connaissances. Par ailleurs, l’utilisation des réseaux sociaux devrait s’accroitre. Cela peut paraitre surprenant ; comment combiner Facebook et école ? Mais ces réseaux, massivement utilisés par les élèves, permettent un partage facile de ressources. En outre, ils encouragent le développement d’une culture de la collaboration et du partage.

L’importance pour l’Inde de compétences en intelligence artificielle

La présidente de l’entreprise technologique indienne Nasscom, Debjani Ghosh, estime que les données et l’intelligence artificielle peuvent ajouter jusqu’à 500 milliards de dollars au PIB de l’Inde d’ici 2025. Une forte réserve de talents est ainsi nécessaire, si le pays compte accomplir son potentiel.

C’est spécifiquement ce que vise le Hexagon Capability Centre India (HCCI), la branche recherche et développement de l’entreprise technologique Hexagon. Il a récemment lancé l’Institut ‘HexArt’, qui vise à démocratiser et développer les compétences en intelligence artificielle dans l’ensemble de la population. Selon un communiqué officiel, les cours visent à « encourager les étudiants à s’engager dans l’auto-apprentissage, les innovations et les inventions ». Espérons que des initiatives similaires fleurissent du côté de notre hexagone à nous !

Dans son ambition de généraliser les compétences en intelligence artificielle, l’Inde peut compter sur un marché de l’Edtech très fort. Il est estimé à $3.5 milliards d’ici 2022, et est en pleine expansion dans l’ensemble du pays. Un article du 12 janvier de Business World retraçait à ce sujet le parcours de Subrahmanyam, jeune PDG indien de 22 ans qui a fondé l’entreprise EdTech Verzeo. Son projet était fondé sur sa volonté de permettre à tous les étudiants d’avoir accès à une éducation sur les technologies de pointe, et de ne pas en être exclus. S’il le fallait encore, le fait d’avoir un PDG si jeune témoigne de la vitalité du secteur de l’Edtech en Inde.

Préserver une école pour les enfants

L’importance de l’intelligence artificielle dans les futurs programmes est indéniable. Toutefois, il faut veiller à préserver une école humaine, pour les enfants, et surtout demeurer réalistes dans les attentes. C’est justement le cœur du propos d’une chroniqueuse indienne dans un récent article du New York Times : est-il par exemple vraiment impératif d’enseigner à tous les enfants à coder ?

En Inde, les parents sont de plus en plus harcelés quant à cette idée qu’il faut coder dès l’âge de 4 ou 5 ans – sous peine d’un futur échec. Tout élément créatif est sacrifié ; plutôt que valoriser leurs qualités naturelles, on les transforme au contraire selon l’auteure en « clones ».

Suite à la pandémie du coronavirus, l’entrepreneur indien Karan Bajaj a signé un contrat de 300 millions de dollars pour vendre sa société WhiteHat Jr. à Byju’s, la plus grande société de EdTech au monde. WhiteHat Jr., qui opère en Inde et aux Etats-Unis, a notamment organisé une campagne publicitaire en Inde pour dire aux parents que les enfants devaient impérativement apprendre le codage dès l’âge de 4 ans. De nombreuses célébrités indiennes ont ensuite fait la promotion de la marque, et ont répandu cette nouvelle ‘peur’ au sein des familles.

En Inde, une crainte similaire avait existé il y a quelques années de cela, avec l’ingénierie et la médecine. A l’époque, de nombreux parents vendaient terres et bijoux, et épuisaient leurs économies pour envoyer leurs enfants dans ces formations. Or, des dizaines de milliers de ces ingénieurs et médecins n’ont plus de travail aujourd’hui. Des centaines d’écoles d’ingénieurs ferment leurs portes en Inde. Les écoles privées de mauvaise qualité se sont multipliées pour répondre à la demande, et ont produit une génération d’ingénieurs et de médecins non qualifiés et inemployables.

Il faut absolument éviter un phénomène similaire avec ce nouvel élan d’enthousiasme autour de l’intelligence artificielle et de la data. Au-delà, à un si jeune âge, un enfant devrait avant tout lire, chanter, danser, imaginer – autant de moyens qui permettent de développer ses capacités cognitives plutôt que la seule aptitude à coder !

La Chine en ligne de mire ?

Gare à l’emballement, donc. Il est toutefois légitime de se demander si cet enthousiasme indien autour de l’IA n’est pas indirectement lié à l’essor, encore plus conséquent, de l’intelligence artificielle chez son voisin chinois.

Les ambitions chinoises ne sont pas des moindres : devenir le leader scientifique et technologique d’ici 2049, date du centième anniversaire de l’arrivée du Parti Communiste Chinois au pouvoir. L’intelligence artificielle occupe une place de choix dans cet agenda, et se retrouve ainsi naturellement dans les transformations de son système éducatif.

A la rentrée, par exemple, le président de l’Institut de Shanghai en Education et en IA parla de « troisième réforme éducative à venir », tournée autour du développement de l’intelligence artificielle. Dix-sept experts, chinois comme étrangers, font partie de l’organe consultatif académique de l’Institut. L’université a également réuni des enseignants de huit départements différents pour compiler 24 volumes de manuels sur l’IA et l’éducation, et a surtout lancé le premier programme de doctorat du pays pour une éducation intelligente.

Non loin de là, des chercheurs de l’Institut National de l’Education de Singapour ont récemment mis au point ‘AppleTree’, un ensemble de technologies d’apprentissage basées sur l’IA. En recueillant et en affichant des analyses et des commentaires en temps réel sur l’apprentissage, AppleTree permet aux enseignants d’ajuster ou d’improviser leur enseignement et de combler ainsi les lacunes des élèves en matière d’apprentissage. Cela permet aux élèves non seulement d’acquérir une compréhension plus approfondie du contenu, mais aussi de cultiver des compétences du XXIe siècle comme la communication et la collaboration ainsi que la pensée critique et inventive.

Piloté dans six écoles, AppleTree a remporté deux prix lors de conférences internationales. Pour l’école de demain, cap sur l’Asie ?