(Re) Construire le projet de l’École à l’ère de l’Intelligence Artificielle

Le débat autour de l’apport du numérique à l’éducation ne cesse de faire couler l’encre des professionnels du secteur, des politiques et tous ceux qui se sentent concernés par l’avenir de l’éducation. La multitude de critiques et d’éloges du digital au service de l’éducation témoignent de l’enthousiasme qu’il inspire mais aussi de l’ambiguïté autour des enjeux associés. Comment se situer par rapport à l’éducation numérique ? La majorité est d’accord pour remettre en cause le « tout numérique » ou la digitalisation systématique de l’éducation. Cependant, les solutions et les outils existants sont nombreux et ne cessent de se multiplier, nous empêchant ainsi de généraliser les conclusions. Il demeure toutefois important de nous intéresser aux initiatives prises, aux politiques déployées et aux technologies qui ne cessent de voir le jour afin de nous en inspirer et de lever le mystère qui plane sur ce qu’impliquent le « numérique éducatif », « l’éducation au numérique » et l’intelligence artificielle tout particulièrement.

Qu’en est-il de l’éducation numérique ?

Pour les professionnels qui observent les fluctuations du marché de travail et se projettent dans une économie davantage digitalisée, il est nécessaire d’assurer de plus en plus la maitrise des outils numériques et leurs usages afin de satisfaire les besoins en compétences. C’est le cas du directeur général Afrique du Nord de l’entreprise HP Salah Ouardi selon lequel l’école hybride ou « phydigitale » serait l’avenir de l’éducation. Pour Ben Lamm, fondateur et directeur général de plusieurs entreprises dans le secteur de la Tech, il y aurait même dans l’amélioration de la formation au numérique le potentiel de réduire les inégalités. Il préconise pour cela dans le contexte américain la formation des enseignants, la subvention d’équipements et l’utilisation d’outils qui forment à l’IA tout en l’y incorporant. L’enjeu n’est pas seulement d’avoir des compétences numériques, mais aussi de comprendre comment les données sont récupérées et utilisées par les différents acteurs.

Prenant conscience de ces éléments et suite à des consultations avec les acteurs de l’éducation la Commission Européenne a sorti son ‘Plan d’Action de l’Education Digitale’ pour 2021-2027 qui marquera le ton pour les années à venir en matière de digitalisation de l’éducation. Parmi les priorités stratégiques nous retrouvons la question de connectivité, la construction d’un écosystème d’éducation digitale performant et le développement des compétences associées. Dans l’esprit des recommandations énoncées dans ce plan, l’organisation European Schoolnet a sorti un guide à l’attention des professeurs détaillant comment utiliser les jeux vidéo dans le cadre de l’enseignement. Basé sur le projet « Games in Schools », ce guide a permis à plus de 4200 enseignants de partager leur retour d’expérience en 2019 sur l’utilisation de jeux vidéo en classe. L’apport constructif de certains jeux est ainsi mis en avant, montrant une nouvelle approche intéressante pour repenser la pédagogie.

Le professeur Jean-François Cerisier replace la question du numérique dans un contexte plus large d’une école républicaine qu’il faut repenser avec les réalités d’aujourd’hui. Il pousse cette réflexion autour d’un projet « partagé, inscrit dans le temps qui vise toutes les formes de réussite personnelle et d’émancipation citoyenne ». Selon lui, la manière dont nous envisageons l’avenir de notre société, notre culture et nos enfants déterminera nos attentes de l’institution et le rôle qu’aura le numérique dans la réalisation de ces attentes.

Ce que ces perspectives ont en commun, c’est le prérequis d’un travail collectif et trans-sectoriel afin d’aboutir à une éducation qui remplit sa fonction institutionnelle et satisfait les besoins de l’économie en tirant profit du numérique. C’est là toute la mission de la Fondation l’IA pour l’école, de rassembler des acteurs avec un objectif commun transcendant les frontières entre secteurs et professions afin de repenser l’avenir de l’éducation.

Regard à l’international : montée en puissance de l’EdTech

L’engouement observé autour du potentiel de ces innovations dépasse le cadre de l’Europe à l’heure où plusieurs pays se préoccupent de la transition digitale et ce qu’elle impliquera pour l’éducation. L’Inde reste un exemple très parlant, en particulier en ce qui concerne l’intelligence artificielle. L’été 2020, le marché indien de l’IA éducative fut évalué à $6,4 milliards et il continue de croître. En parallèle, l’investissement dans la Tech et la EdTech à l’initiative du gouvernement se poursuit, révélant une forte volonté politique notamment avec le lancement de la « Mission Nationale sur l’Intelligence Artificielle ». Les entreprises du secteur en touchent déjà les fruits, comme upGrad qui a connu une augmentation conséquente dans la demande. Son directeur général Arjun Mohan déclare même que selon une enquête menée par l’entreprise « 79% de leurs élèves ont atteint des bénéfices professionnels considérables ». Cette tendance est davantage marquée par les résultats d’une étude de Tracxn montrant que les investissements dans l’EdTech indienne ont bondi à $1.88 milliards de janvier à octobre 2020 – contre $440 millions sur la totalité de l’année 2019.

Cependant l’industrie indienne n’est pas la seule à en profiter. Les licornes américaines de l’EdTech observent avec intérêt le boom de l’éducation à distance qui se produit en Inde. Pour en citer quelques-unes, Udemy, Coursera et Udacity considèrent que l’Inde sera l’un de leurs plus gros marchés en dehors du territoire national. Pour donner une idée plus claire de ce que cela peut représenter, les inscriptions sur Udemy ont explosé de 200% ces derniers mois à cause de la pandémie. Si elle ne l’était pas auparavant, la rentabilité de la EdTech est désormais une évidence que nous pouvons illustrer avec la levée de $75 millions d’investissements par Udacity.

Par ailleurs, l’utilité de ces technologies ne se mesure pas, ou pas uniquement, à leur rentabilité. La plus-value pédagogique ne cesse de faire ses preuves notamment à l’heure du confinement avec des outils comme Wiloki, qui propose du soutien scolaire adaptatif. Plus spécifique aux mathématiques, DoubleYou Kids a mis au point Léon, une intelligence artificielle qui permet aux enfants de discuter avec un robot qui leur fait réaliser leurs exercices.

Pour nous faire une idée plus claire de l’impact que l’usage de ces logiciels peuvent avoir, nous pouvons nous intéresser aux expériences isolées datant de quelques années. Pour prendre un exemple, suite à l’implémentation en 2017 d’une solution numérique de Carnegie Learning dans une école texane, un progrès de de 24% aux résultats du test de mathématiques STAAR a été observé. Si de tels cas de figure sont encourageants, il faut tout de même continuer à prendre en compte les expérimentations et les retours des enseignants et des élèves afin de mieux saisir le potentiel du numérique éducatif.

Cela est d’autant plus important que les initiatives se multiplient dans l’objectif de transformer les technologies en solutions au service d’une meilleure expérience éducative. Pour citer un autre exemple, dans le cadre du concours annuel ‘Imagine Cup Junior AI for Good Challenge 2020’ une équipe lauréate de trois jeunes singapouriens a développé une intelligence artificielle permettant à des muets de s’exprimer. En reconnaissant les expressions faciales et les mimiques physiques, une IA pourrait les retranscrire en texte écrit et ainsi devenir un facilitateur pour les élèves souffrant d’handicap. Avec de telles considérations, les inégalités entre les élèves et les difficultés particulières rencontrées par une partie de la population peuvent être réduites grâce à l’IA.

Conclusion

Nous pouvons conclure que la course à l’intelligence artificielle dans le domaine de l’éducation se fait de plus en plus évidente. L’intérêt des investisseurs et des acteurs de l’éducation dans les entreprises de la EdTech leur assure une viabilité économique et sociale nécessaires à la pérennité du secteur. L’essor de ces technologies devra néanmoins être accompagné d’une phase de dialogue et d’expérimentation permettant de déterminer quelles solutions adopter pour quels besoins et à destination de quelle population. Sans bruler les étapes, il s’agit en premier lieu comme l’a exprimé le professeur Cerisier, de continuer la réflexion autour d’un projet de société commune dans lequel tous les acteurs peuvent trouver un sens et le mettre en œuvre. La Fondation l’IA pour l’école apporte sa contribution en œuvrant à rassembler les acteurs concernés et stimuler un dialogue informé autour de ces sujets.